
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette nouvelle version de la IVe symphonie de Mahler par Les Siècles et le tandem François-Xavier Roth – Sabine Devieilhe n’est pas passée inaperçue. Très attendue après une « Titan » remarquée, plus clivante, elle établit un style mahlérien original et novateur, formidablement intéressant.
Ce qui frappe d’emblée à l’écoute de cette version, c’est l’équilibre orchestral radicalement différent : loin d’être mises en avant, les cordes se font discrètes et le point focal se déplace vers les vents, en particulier les bois ; des cordes qui jouent sur instruments « d’époque », c’est-à-dire montées avec des cordes en boyau, et non pas des cordes métalliques. Cette recherche de sonorités d’époque (qui s’étend aussi aux vents, cuivres et percussions), même si elle ne constitue pas en elle-même une interprétation, pare cette musique de couleurs nouvelles : chaque intervention des bois est claire, lisible, sans excès, avec des sonorités qui viennent chatouiller les oreilles des habitués du Philharmonique de Berlin. Les violons jouent avec un vibrato très contrôlé, voire sans vibrato, dans des phrasés qui privilégient la clarté et la concision, plutôt que l’épanchement lyrique. Cet équilibre est irrésistible dans les deux premiers mouvements de la symphonie : au gré de tempi assez vifs, la musique avance avec alacrité et un engagement sans faille des musiciens. Chaque intervention des bois ou des cors est savoureuse, les innombrables clairs-obscurs du premier mouvement sont réalisés avec un naturel confondant. On l’aura deviné, c’est le grand mouvement lent (Ruhevoll, poco adagio), dont l’équilibre est le plus modifié dans cette approche, tant les cordes y sont essentielles. L’allègement est spectaculaire, les contrastes plus clairs, sans aucune lourdeur. Les amateurs de cordes « massives » n’y trouveront pas leur compte, mais on gagne mille fois en lisibilité et en naturel ce que l’on perd en lyrisme. En outre, la transition avec le IVe mouvement se fait avec une grande fluidité, ce qui renforce l’unité de l’œuvre.
Ce dernier mouvement mérite d’ailleurs qu’on s’y arrête un instant, car il constitue peut-être la partie la plus réussie de cette interprétation. Sabine Devieilhe a non seulement une voix sublime, au timbre idéal pour cette musique, mais elle adhère aussi pleinement au projet de François-Xavier Roth, et se fond avec bonheur aux sonorités de l’orchestre. Quel contrôle du vibrato ! Quelle complicité avec l’orchestre ! Les interventions gourmandes des bois, les contrastes appuyés mais jamais exagérés, les cordes qui trouvent leur place sans s’imposer, tout concourt à créer l’écrin idéal pour cette voix superlative. On aimerait que cela ne cesse jamais…
A côté des grandes versions qui ont marqué l’interprétation de cette symphonie (Abbado, Haitink, Chailly, Ivan Fischer, plus récemment Bychkov), l’interprétation de François-Xavier Roth et de son orchestre Les Siècles se singularise donc, pour le meilleur, et donne à entendre la musique de Mahler comme jamais auparavant. La symphonie gagne en unité, en lisibilité ; le propos est clair et cohérent, les couleurs, nouvelles. On ne peut que saluer cette recherche, l’engagement des musiciens et de leur chef, et l’intelligence avec laquelle tout cela est mené. Est-ce la voie pour enfin accéder au paradis dont Sabine Devieile nous ouvre grand les portes ? Votre écoute vous le dira…
H. Le Guennec