Paris, le 11 juin 2024
Deux ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Laurent Sagalovitsch, dont c’est le huitième roman, pour boucler « Le dernier été de Gustav Mahler », paru aux éditions du Cherche Midi. Deux ans pour se plonger dans la vie des Mahler en cette année 1910, émotionnellement et psychologiquement décisive pour le couple, et probablement fatale pour Gustav. A travers le journal d’Alma, les biographies, les documents d’époque, l’auteur a pu reconstituer les faits qui servent de base à l’intrigue, et le romancier a complété, avec beaucoup de talent, les zones d’ombre et les incertitudes.
Tous les Mahlériens connaissent cette histoire incroyable, durant l’été 1910, de la lettre destinée à Alma et envoyée par son amant, Walter Gropius, (qu’elle épousera après la mort de Gustav), directement à Herr Direktor Mahler dans leur résidence d’été à Toblach, plutôt qu’en Poste restante pour Alma. Erreur, acte manqué, volonté de communiquer coûte que coûte, toutes les hypothèses ont été passées au crible par les biographes. Mais l’histoire ne s’arrête pas là ; Gropius viendra jusqu’à Toblach, pour se confronter directement au célère Directeur d’Opéra, Alma devra choisir…
Quiconque aura lu Henry-Louis de la Grange connaitra les détails. Mais là où la parole du biographe s’arrête, commence celle du romancier, et c’est un vrai choc. D’un narratif froid et presque clinique, on passe à des personnages de chair et de sang, qui prennent vie de manière stupéfiante sous la plume de Laurent Sagalovitsch. C’est bien dans l’intimité des Mahler que nous sommes invités ; on rêve avec Alma, on tremble avec Gustav lorsque la fameuse lettre arrive, on marche de nuit dans la forêt avec Walter, pour aller de Toblach à la maison des Mahler (quelle magnifique scène) … on a beau connaître par cœur cette histoire, tout est soudain vivant, sensible, incarné. Les caractères sont décrits avec une grande finesse psychologique, sans jugement ; on suit les émotions de chacun, les doutes, les angoisses et les joies, dans le décor merveilleusement dépeint d’un été à Toblach.
Laurent Sagalovitsch, qui pensait écrire ce roman « plus tard », nous fait un extraordinaire cadeau. Dans un autre texte touchant, il raconte sa rencontre avec la musique de Mahler : rencontre tardive et riche, de celles qui, sinon changent la vie, du moins bouleversent profondément. Nous avons eu le privilège de le rencontrer à Paris, où il réside maintenant après 12 ans passés à Vancouver. Jovial, passionné et passionnant, il nous a raconté « son Mahler » et cette plongée dans la vie de ce couple mythique. On rêve d’un film construit sur le roman, pour prolonger l’enchantement de sa lecture.
Hervé Le Guennec
