Monte Carlo, le 6 avril 2024
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Marie-Nicole Lemieux, contralto, Pene Pati, ténor, Kazuki Yamada, direction.
Pour son édition 2024, le Printemps des Arts de Monte-Carlo aura été entièrement placé sous le signe du Chant de la Terre, avec une signification plus large que le titre de l’ultime œuvre achevée de Gustav Mahler. Sous la direction de Bruno Mantovani, dont c’est la troisième édition, le festival a interrogé, à travers une programmation pointue, éclectique et originale, des questions comme la crise climatique et l’évolution de notre terre. Vaste ambition et pari tenu, avec un niveau d’exigence auquel Bruno Mantovani nous avait déjà habitués.
Pour l’avant dernière journée du Festival, c’est donc le Chant de la Terre dans sa version pour grand orchestre qui a été donné, faisant suite à une version pour orchestre de chambre programmée précédemment. Grand orchestre local, puisque le Philharmonique de Monte-Carlo était à la manœuvre, sous la direction de son chef, Kazuki Yamada, dont c’était la première interprétation du Chant de la Terre. Côté solistes, étaient invités la grande contralto Marie-Nicole Lemieux et le ténor Pene Pati, dont la carrière commence à prendre son envol.
Le Chant de la Terre, comme la Sixième symphonie, fait partie de ces œuvres de Mahler dont l’interprétation est parfois exagérément lugubre, sombre et sans issue. Nous avons tous en tête l’interprétation historique et poignante de Kathleen Ferrier, pour ne citer qu’elle ; mais cette œuvre offre bien d’autres facettes, que Kazuki Yamada a su mettre en avant dans une version marquée par la lumière, l’amour et la gratitude. Les six lieder, idéalement caractérisés et contrastés, ont ainsi défini un chemin, un voyage, que chacun a pu suivre jusqu’au somptueux Abschied. L’un des points marquants de l’interprétation du chef japonais aura été son utilisation du silence : pianissimi imperceptibles, subtile extinction des notes, le chef a créé un jeu d’ombre et lumière permanent, particulièrement harmonieux. Un travail remarquable, permis par un orchestre attentif et précis, et par un public respectueux.
Coté solistes, la prestation tout en puissance de Pene Pati dans le premier Trinklied a pu faire craindre un manque de couleurs pour la suite, mais les deux autres lieder ont été plutôt réussis, surtout le troisième, Von der Jugend, dont le chef a mis en valeur toute la subtilité. L’entrée de Marie-Nicole Lemieux dans Der Einsame im Herbst a été immédiatement saisissante : intelligence du texte et du phrasé, narratif expressif, dynamique impressionnante. La complicité avec le chef (dans Von der Schönheit, le plus réussi) n’a jamais fait défaut jusqu’à un Abschied passionnant et émouvant de bout en bout, débordant de gratitude, d’une plénitude absolue.
Le concert s’est achevé dans le silence, pour quelques secondes suspendues, durant lesquelles public et interprètes ont partagé une émotion palpable. On comprend dans ces moments pourquoi l’on va au concert…
Hervé Le Guennec
