
Quelle belle surprise ! Après une intégrale des symphonies de Mahler donnée à Lille entre janvier 2019 et janvier 2020, ainsi qu’un concert remarqué à la Philharmonie de Paris (7ème symphonie le 19 octobre 2019), c’est maintenant l’enregistrement de la 7ème que nous offre Alpha Classics. A mi-mandat à la tête de l’Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch prend donc tous les risques en programmant cette intégrale et en enregistrant une des symphonies les plus complexes. Autant le dire tout de suite, la réussite est totale, et cette version se hisse d’emblée parmi les plus convaincantes de la discographie, dévoilant un chef passionné, authentiquement mahlérien, sachant transmettre sa vision et son enthousiasme à un orchestre transfiguré.
Ce qui frappe avant tout dans cette interprétation, c’est la justesse de ton, l’équilibre naturel entre respect scrupuleux de la partition et sens narratif. En un mot, cela sonne parfaitement « mahlérien » si l’on peut se permettre d’écrire cela. Quel fantastique travail avec l’orchestre pour parvenir à ce résultat ! Dès l’introduction du premier mouvement, le ton est donné : le cor ténor grave et solennel de Lilian Meurin, très dominant, jette un éclat marmoréen sur un orchestre sombre, jusqu’au terrifiant aboutissement de cet épisode (mesure 27, avec une première modulation). A travers les différentes atmosphères de ce mouvement complexe, on ne sortira pas de cette ambiance sombre, inquiétante, hypnotique. Orchestre parfaitement équilibré, à l’écoute, tension jamais relâchée, multiples détails soignés ne contredisant pas la ligne mélodique, ce premier mouvement avance de manière implacable et magistrale.
C’est donc « sous le choc » que l’on aborde la première Nachtmusik, tout aussi magistralement interprétée. Superbe fusion des timbres au tout début entre la petite harmonie et le cor, rythme plutôt enlevé, on sent rapidement un caractère martial contrasté par des épisodes tour à tour plus légers (« Sempre l’istesse Tempo / 79), plus inquiétants (« Poco meno mosso » / 89) ou flamboyants (96). Le voyage se poursuit avec un Scherzo de haute volée, véritablement « Schattenhaft », fourmillant des multiples interventions de l’orchestre sans jamais perdre la ligne générale. Le tournoiement démoniaque des premières mesures ne s’apaise qu’au Trio (134), puis reprend dès 144 « Wieder wie am Anfang ». On reste confondu par la maitrise technique de l’orchestre (petite harmonie subtile et précise, cuivres souverains, jamais trop expansifs, cordes somptueuses, belles interventions solistes) rendue encore plus claire par une très belle prise de son. Peut-être le mouvement le plus réussi, s’il fallait en choisir un.
La deuxième Nachtmusik amène un contraste bienvenu et souriant, bien que toute l’ambiguïté de cette musique soit également rendue. Comme l’explique le chef dans sa petite vidéo introductive (« La minute du chef » https://www.youtube.com/watch?v=SmOiy596VnY) c’est un mouvement noté « Andante amoroso » et c’est bien dans l’esprit « amoroso » qu’il est interprété ici. Le Rondo-Final, quant à lui, est joué avec fougue et sans limiter son aspect un peu bruyant ou chaotique parfois, réveil brutal d’une nuit riche de mystères et de passion. La lumière se fait multiple, les épisodes se succèdent avec toujours la même énergie communicative (par exemple le retour « Tempo I subito » / 268). Cuivres et percussions y sont à la fête, et on ne peut qu’être conquis par le caractère jubilatoire de l’ensemble.
L’Orchestre de Lille signe donc, sous la direction particulièrement inspirée de son chef Alexandre Bloch, une version qui se hisse parmi les références de cette symphonie, qui compte quand même nombre de beaux enregistrements ! Une version à conseiller de toute urgence, à faire connaître, qui rend lisible et accessible cette œuvre majeure mais parfois méconnue. En prime, l’émergence d’un chef mahlérien de grand talent, que nous suivrons de près, en espérant de nombreux concerts et enregistrements à venir !
Hervé Le Guennec pour la Société Gustav Mahler France