Prague le 2 février 2024, Rudolfinum.
Orchestre Philharmonique Tchèque, direction, Semyon Bychkov. Soliste : Catriona Morison. Chœur Philharmonique de Prague, Chœur d’enfants Pueri gaudentes.
Semyon Bychkov poursuit avec bonheur son intégrale des symphonies de Mahler avec son orchestre, la fabuleuse Philharmonie Tchèque. Après les symphonies 1, 2, 4 et 5 déjà parues en disque chez Pentatone, on attend les 7ème et 6ème, présentées au concert respectivement en 2022 et 2023. Cette année, c’est donc la 3ème symphonie qui est au programme, et dont on espère un enregistrement rapidement. Sur les opus déjà enregistrés, notre préférence va nettement à la 4ème, idéale d’équilibre et d’esprit, suivie par une belle 1ère, dans laquelle les forces de l’ensemble praguois s’expriment avec une fougue juvénile fort bienvenue. Nous avons commenté les 2ème et 5ème, moins convaincantes dans l’ensemble, malgré quelques mouvement magnifiquement réussis (comme le Scherzo de la 5ème). Quant aux symphonies 6 et 7, nous avions admiré l’exécution de la 6ème lors du Festival Mahler à Leipzig, mais la 7ème entendue à Paris à la Philharmonie nous avait un peu déçus.
Cette 3ème était très attendue, pour venir compléter la série des Wunderhorn symphonies, que Bychkov semble apprécier (et réussir) tout particulièrement. Colossale, avec ses 6 mouvements, c’est la plus longue des symphonies de Mahler, et son exécution demeure redoutable, tant pour l’orchestre hyper sollicité de bout en bout que pour la soliste des mouvements 4 et 5, sans parler des terrifiants solos des trompettes, trombones ou des cors.
A Prague, dans la magnifique salle Dvorak du Rudolfinum, à l’acoustique somptueuse, le concert a été à la hauteur des espérances, même si quelques faiblesses ne nous ont pas permis d’atteindre l’exceptionnel. Le premier mouvement dans son ensemble a été l’un des plus convaincants entendus jusqu’ici. Lancé par les huit cors à l’unisson dans le célébrissime thème initial, l’orchestre n’a cessé d’émerveiller : puissance tantôt soyeuse, tantôt métallique des cordes, précision et éclat des cuivres, subtilité des bois, présence virile des percussions, tout y était. Bychkov a su imposer une lecture très contrastée, minérale, traduisant la force brute de cette partition hors normes. Mention particulière pour les solos de trombone, parfois assez laids et ici impeccablement menés, ainsi que pour les pupitres de cordes, tout particulièrement les altos et les contrebasses, clairs, articulés, aux sonorités profondes. Du très grand art, et une émotion particulièrement forte.
Le deuxième mouvement, en contraste absolu avec le premier, a lui aussi tenu ses promesses ; les bois, tout en finesse, subtilité et précision, en ont été les incontestables rois. Ce qui a été particulièrement remarquable dans ce mouvement, au-delà d’une exécution précise, légère et équilibrée entre les pupitres, c’est l’esprit que Bychkov a su lui insuffler : un juste équilibre entre l’évocation de la nature, une innocente gaieté, et l’ironie mordante, toujours présentes en arrière-plan. Là encore, quel remarquable travail et quelle hauteur de vue !
Le troisième mouvement aura été moins brillant, tout en restant d’un excellent niveau, mais le tempo lent et les difficultés dans le long solo du cor de postillon ont quelque peu brisé l’harmonie rêveuse qui doit prévaloir. Impression également mitigée dans le mouvement suivant, la prestation de la mezzo-soprano Catriona Morison se situant un peu en deçà de ce que l’on attend. Il s’agissait d’un remplacement au pied levé, ce qui n’est jamais simple, et la voix de Catriona Morison manquait de profondeur dans les graves, pour donner toute la majesté et la solennité requise dans ce mouvement.
On a retrouvé des couleurs dans le cinquième mouvement, avec l’entrée soudaine et bienvenue des chœurs, impeccables, mais naturellement avec les mêmes réserves pour la mezzo-soprano. Le Finale, quant à lui, porté par les cordes souveraines de la Philharmonie Tchèque, a été à mon sens typique du style de Bychkov dans les mouvements lents mahlériens entendus dans sa nouvelle intégrale. Un legato présent mais très bien dosé, et beaucoup de retenue, une certaine pudeur dans ces pages propices à l’épanchement et au lyrisme. Le troisième mouvement de la 4ème symphonie, ou encore l’Adagietto de la 5ème, portent cette marque qui peut susciter des réserves mais reflète une vision personnelle et très aboutie.
Au total, un grand concert, magnifié par l’exceptionnelle acoustique du Rudolfinum, avec un chef dont on attend toujours avec impatience les prochains opus mahlériens.
Hervé Le Guennec
