Stockholm, le 9 février 2024, Berwaldhallen.
Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise, Daniel Harding. Soliste : Christian Gerhaher.
La Berwald hall, au centre de Stockholm dans le quartier calme des ambassades, a été inauguré en 1979 et est le point d’ancrage de l’Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise. D’une capacité moyenne (1300 places environ), de forme hexagonale, la salle accuse un peu son âge à l’intérieur et ne nous a pas particulièrement séduits. Son acoustique est claire, mais plutôt sèche. Dans la froideur hivernale de cette soirée de février, le public était nombreux pour assister à un programme « tout Mahler » assez copieux : en première partie, les Rückert Lieder, peu donnés en concert, suivis en deuxième partie de l’immense 7ème symphonie.
Daniel Harding et l’Orchestre de la Radio Suédoise se connaissent bien, et semblent bien s’entendre également. Ils ont enregistré ensemble les 5ème et 9ème symphonies de Mahler, et poursuivent une collaboration régulière. Quant à Christian Gerhaher, on ne le présente plus ; l’un des plus grands barytons-basses de sa génération, il a enregistré les cycles de lieder de Mahler et le Chant de la Terre avec Kent Nagano et l’Orchestre Symphonique de Montréal, ainsi que des lieder du Knaben Wunderhorn avec Pierre Boulez et l’Orchestre de Cleveland.
Dans les Rückert Lieder, la prestation de Christian Gerhaher a été tout à fait remarquable. Splendeur du timbre, puissance et subtilité dans les atmosphères si contrastées des poèmes de Rückert ; sans parler la diction proprement dite, d’une exceptionnelle clarté. L’accompagnement de Daniel Harding, tout en précision et en retenue, était là pour permettre à Christian Gerhaher d’exprimer toute sa sensibilité, sans jamais être dominé par l’orchestre. Un beau moment de poésie et de partage, avec une mention spéciale pour Um Mitternacht, bouleversant.
Nous attendions avec impatience la 7ème, cette œuvre énigmatique et toujours impressionnante au concert, dont les grandes réalisations sont des expériences véritablement marquantes. C’était notre troisième version avec Daniel Harding, après un concert avec l’Orchestre de Paris pour le moins raté, et une miraculeuse réussite avec l’Orchestre de la Radio Bavaroise en mai dernier, lors du Festival Mahler de Leipzig. Malheureusement, les miracles ne se répètent pas, et la prestation de l’Orchestre de la Radio Suédoise aura été nettement en deçà de celle de la célèbre phalange bavaroise. Il faut dire que cette symphonie pousse l’orchestre, tous pupitres confondus, dans ses retranchements. D’une extrême difficulté, elle nécessite des pupitres solistes virtuoses, une cohésion sans faille dans les impressionnants tutti et un dosage très précis entre les voix principales et secondaires, pour éviter tout effet de cacophonie, surtout dans les mouvements extrêmes.
Poussé par Daniel Harding dans une interprétation moderne et sans concession, l’Orchestre de la Radio Suédoise a vite montré ses limites : un cor ténor mal assuré au départ, une seconde trompette pas très en forme, des bois un peu rustres (clarinette basse ou hautbois, par exemple), un pupitre de seconds violons timide, bref un orchestre dont le niveau général nous a déçus, même si quelques pupitres s’en sont sortis plus qu’honorablement : les cors dans l’ensemble, les cordes (magnifiques solos de violon et d’alto), les trombones et les percussions. L’entente avec Daniel Harding semble incontestable, l’orchestre suivant le chef dans ses changements de tempo parfois soudains (comme au début du premier mouvement) et dans ses moindres inflexions, mais la limitation des moyens à certains moments clés a rendu l’interprétation moins convaincante. On citera par exemple le début du premier mouvement, dans lequel l’orchestre a trouvé son équilibre au bout de dix bonnes minutes seulement, ou encore le début de la première Nachtmusik, si difficile à caler, dans lequel les bois ont cruellement manqué de subtilité et de maîtrise. Il reste l’interprétation de Daniel Harding, moderne, volontiers martiale, tirant cette œuvre vers le XXème siècle, avec des moments de poésie très émouvants (la seconde partie du premier mouvement ou la deuxième Nachtmusik, la plus réussie). Un Finale mené tambour battant, roboratif et jamais bruyant, a fini « d’achever » l’orchestre, avec une standing ovation pour clore ce concert pourtant en demi-teinte.
Hervé Le Guennec
