
Le chef tchèque Tomas Netopil (né à Prague en 1975) n’est pas encore connu pour ses enregistrements mahlériens, mais à l’écoute de cette 6ème symphonie, on se dit que « son temps viendra » lui aussi. A part une Neuvième également captée avec la Philharmonie de Essen, chez le même éditeur, sa discographie est effet plutôt axée sur la musique tchèque (Janacek, Suk, Martinu, Dvorak). Cela étant, en tant que chef principal de ce bel orchestre de Essen, discret et d’un excellent niveau technique, son repertoire va certainement évoluer et cet enregistrement en est le témoin. Il faut noter que Mahler a créé sa 6èmesymphonie avec ce même orchestre, en 1906, ce qui donne à cet enregistrement un surplus de noblesse.
A l’écoute de ce diptyque, on est d’emblée frappé par les différences de tempi et d’atmosphère entre les deux versions. Gielen en 1971 se place parmi les versions les plus rapides (comme Gergiev avec le LSO par exemple). Le premier mouvement avance avec structure et détermination, sans répit, la vitesse rendant quelques traits moins nets (par exemple la descente des violons juste avant 10), avec des interventions des cuivres parfois un peu criardes. Le scherzo, placé ici en deuxième position, conserve ces caractéristiques, se faisant menaçant contrasté et très énergique ; certainement le mouvement le plus réussi, dont la cohérence d’ensemble et la mise en place impressionnent. L’Andante Moderato « avance » lui aussi, gommant un peu le caractère extatique de certains passages au profit d’une tension vers les grands tutti lyriques (100 « Etwas Zurückhaltend ») de la fin du mouvement. Quant au Finale, les effets de contraste entre les différentes sections sont réussis (marche autour de 134) et la cohérence jamais mise en défaut. L’ensemble de la symphonie est placé sous le signe d’une course à l’abime, rapide et implacable.
Mais venons-en au fait, c’est-à-dire à l’interprétation de l’œuvre. Première constatation, dans le grand débat autour des mouvements centraux de la symphonie, Netopil a tranché et c’est le Scherzo « Wuchtig » qui tient la deuxième place, suivi par l’Andante. Et à l’écoute du premier mouvement, énergique, assez rapide et implacable, on comprend ce choix, avec une vision sombre et sans appel de l’ensemble de l’œuvre. Le sentiment d’énergie qui se dégage de ce premier mouvement est patent dès les premières mesures. Les contrastes sont marqués, le thème dit « d’Alma » est caractérisé par une grande douceur des cordes, sans pathos excessif. La suite est à l’avenant, avec toutefois quelques baisses de tension dans les passages plus lents (par exemple le 2ème développement, avec toutefois une belle transition vers le 3ème développement (25)). Le Scherzo démarre de manière glaçante, dans un tempo vif sur de solides assises des basses. Là encore les contrastes et des différentes atmosphères sont marqués et les transitions très travaillées. Une réussite. Le parti pris dans l’Andante moderato est celui d’une grande douceur, d’une pause après les implacables premier et deuxième mouvements, au détriment peut-être de l’intensité et de l’énergie contenue dans ces pages. Les interventions des cordes sont souvent très belles, tout comme la petite harmonie (87-88).
Mais quand on compare avec la version Rattle / Berlin (second enregistrement de 2018), la fusion des timbres (cordes, petite harmonie, cor), le chant des cordes et les interventions du cor solo pourraient gagner en subtilité et en intensité. Le gigantesque Finale signe la fin de la douce pause de l’Andante mais le tempo est modéré et le chef ménage les progressions (par exemple du début jusqu’à 109 (Allegro Moderato)) en travaillant, là encore, les nombreux contrastes. Les marches sont idéalement menées, avec un orchestre très en place et attentif au moindre détail de la partition. Aucun excès d’emphase, c’est une version qui reste neutre mais incisive et très contrastée. Pour conclure, une très belle version, avec un chef authentiquement mahlérien et un orchestre jamais pris en défaut, dont le niveau technique est une belle surprise. On attend la suite avec impatience (en particulier une 4ème symphonie) !
HLG