
Composée à Toblach en Autriche durant l’été 1909 alors que Mahler, âgé de 49 ans, dirige à New York, la Neuvième représente, pour les chefs et les orchestres, un « Everest » incontournable. Œuvre purement instrumentale, précédée du Chant de la Terre composé juste après la Huitième et suivie par la Dixième qui restera inachevée, la Neuvième n’a pas été interprétée du vivant de Mahler ; elle sera créée par Bruno Walter le 20 juin 1912 avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne. Les grandes versions de cette symphonie ne manquent pas. Karajan, Bernstein, Abbado, Giulini, Walter, Rattle, pour n’en citer que quelques-uns, en ont marqué l’histoire de l’interprétation. Alors, que nous réserve cet enregistrement en live, d’un chef de 92 ans, plus connu pour ses fabuleux Bruckner que pour ses interprétations mahlériennes ? Plutôt de bonnes surprises, à vrai dire.
Dès l’introduction de l’Andante Comodo initial, on est surpris de la vie qui se dégage de l’orchestre, avec des timbres marqués et des cordes d’emblée très présentes, dégageant davantage de douceur que de mystère. Tout le premier mouvement sonne avec beaucoup de présence et d’énergie, les épisodes sombres sont menés sans pathos excessif et contrastent avec les passages plus apaisés, toujours dans un tempo modéré. On attendait un adieu déchirant à la vie et c’est une version moderne, préfigurant Berg, riche des multiples couleurs de l’orchestre et fourmillant de contrastes que Herbert Blomstedt nous offre. Le deuxième mouvement tire son énergie des différences marquées de tempi, redoutablement efficaces (Tempo II mesure 90, effectivement « subito », A tempo II mesure 261 par exemple). On pourra regretter un certain manque de truculence et de dérision par moment, lié à une interprétation plus abstraite qu’extravertie.
Le Rondo-Burleske pris toujours dans un tempo modéré (13 :05, plus lent que Rattle, Harding ou Abbado (chez DG) (environ 12 :35) mais plus rapide que Jansons ou Chailly (entre 13 :45 et 14 :00) est marqué par une grande lisibilité, avec toujours cette mise en avant des contrastes et la part belle faite aux timbres des instruments, en particulier la petite harmonie et les cuivres. Le caractère parodique du mouvement est souligné à maintes reprises dans les interventions solistes, mais sans excès. Le défoulement instrumental du presto qui conclut le mouvement, véritable catharsis, manque cependant de l’allant et de l’énergie que l’on trouve dans certaines versions plus engagées. Les cordes de l’Orchestre de Bamberg qui ouvrent l’Adagio final conjuguent présence et sonorité chaleureuse, ce qui place ce mouvement davantage dans une confiante espérance que dans le désespoir d’un adieu, même si certains accents déchirants (« Wieder zurückhaltend », mesure 122), rappellent l’Adagio de la Dixième. Tout le talent d’un chef familier des grandes constructions brucknériennes se déploie dans cet ultime mouvement particulièrement réussi.
On l’aura compris, c’est une interprétation aboutie, moderne et porteuse d’espérance qui nous est offerte ici. Le chef laisse son orchestre s’exprimer tout en façonnant, de main de maître, un message d’une belle humanité. Une incursion mahlérienne réussie !
HLG