
L’affiche était prometteuse : un très grand ensemble, l’Orchestre de la Radio Bavaroise, au passé mahlérien brillant, et Daniel Harding à la direction, dont on connait le niveau d’exigence. Tout cela pour la 7ème symphonie, l’une des plus complexes et des plus mystérieuses de Mahler. Nous attendions beaucoup de cette confrontation, et ce qui nous a été donné a largement dépassé nos attentes !
Si l’on revient sur les concerts (relativement) récents donnant la 7ème symphonie, on se souvient de l’admirable concert du Festival de Lucerne en septembre dernier, avec le Philharmonique de Berlin et Kirill Petrenko, dont nous avons déjà rendu compte sur ce site. Nous avons également pu entendre Semyon Bychkov avec la Philharmonie Tchèque, assez décevant dans l’ensemble, et Andris Nelsons avec le Philharmonique de Vienne, dans une version nettement plus intéressante. Tout cela en attendant le concert de Sir Simon Rattle avec le LSO à Aix-en-Provence en juillet, qui promet d’être passionnant. Pour retrouver Daniel Harding, il faut revenir à un concert avec l’Orchestre de Paris il y a quelques années à la Philharmonie, durant lequel le chef avait été aux prises avec un orchestre pour le moins rétif, ne parvenant pas du tout à réaliser ses souhaits. Concert difficile donc (mais la deuxième soirée avait été un peu meilleure, semble-t-il), qui laissait supposer qu’avec un orchestre d’un meilleur niveau, le résultat pourrait être tout autre. Et ces ingrédients étaient réunis hier soir, avec l’Orchestre de la Radio Bavaroise, homogène et virtuose, très à l’écoute.
Dès les premières mesures, nées d’un silence maintenant habituel mais néanmoins remarquable, le ton a été donné : une vision sombre, au tempo rapide, moderne, sans pathos, extrêmement précise. Daniel Harding a maintenu tout au long du mouvement un exceptionnel équilibre entre les grands tuttis, souvent légèrement accélérés, et les passages plus calmes, avec des interventions solistes remarquables. Apothéose à la fin du mouvement, avec cette sublime marche parfaitement interprétée, et une puissance orchestrale tellurique mais toujours maîtrisée. Du grand art, et une salle sous le choc !
Toujours dans un tempo plutôt allant, la première Nachtmusik a frisé la perfection, avec des bois tout en finesse, équilibrant leurs interventions dans une belle écoute mutuelle. Seul le cor solo, par ailleurs remarquable, a montré quelques faiblesses, mais sans déstabiliser l’ensemble. Atmosphère pour partie apaisée et pour partie martiale, avec ces motifs de marches militaires bien présents ; clarté, maîtrise, caractérisation des différents passages, le tout porté par un orchestre au mieux de sa forme. On a retrouvé ces qualités dans un Scherzo pris rapidement, particulièrement sombre et menaçant. Dans ce mouvement central, essentiel, on sentait le niveau d’exigence de Harding et l’orchestre y répondant infailliblement. Avec le cinquième mouvement, ce sont les deux mouvements pour lesquels on a eu peur pour l’orchestre, tant la précision demandée, dans un tempo inhabituellement rapide, semblait inatteignable. Mais « ça a tenu », l’orchestre l’a fait et il n’était pas au bout de ses peines !
La deuxième Nachtmusik est apparue comme un océan de calme et de sérénité, après le diabolique Scherzo. Douceur des cordes, merveilleuses interventions des bois, mandoline et guitare discrètes mais présentes, l’équilibre était parfait. Le premier moment vraiment apaisé, comme l’œil du cyclone, juste avant un cinquième mouvement ébouriffant. Pris dans un tempo d’enfer, le dernier mouvement a vraiment poussé l’orchestre dans ses retranchements, tout en maintenant un niveau de maîtrise exceptionnel. Très lisible, bruyant et lumineux à la fois, ce mouvement était un tourbillon continu, vaste fresque dont on suivait chaque motif en s’accrochant à son fauteuil ! Mais là encore, l’orchestre l’a fait, et Daniel Harding a pu exprimer en totalité sa fascinante vision de cette œuvre.
Standing ovation d’une salle dont le bonheur était palpable, après un si merveilleux voyage.
Hervé Le Guennec