Donnée hier en 5ème soirée du Festival de Leipzig, la 9ème symphonie de Mahler est à bien des égards une symphonie particulière, de par la modernité de son écriture et sa difficulté d’exécution. Rappelons que Mahler ne l’a jamais entendue, donc n’y a jamais apporté de corrections (ce qu’il a fait pour les symphonies précédentes) ; les chefs sont donc seuls au monde face à cette musique sublime et complexe. Peut-être davantage que pour les autres symphonies, la manière d’en aborder les premières notes est essentielle ; elle nous semble extrêmement révélatrice de la manière de concevoir et de diriger l’œuvre dans son ensemble. On peut laisser l’orchestre assez libre, dans ces sons mystérieux et singuliers, venus du néant, qui précèdent l’entrée des seconds violons, ou bien commencer à diriger et à cadrer dès ce démarrage. Deux visions de l’œuvre s’affrontent sur ces quelques notes…
A la tête de son Orchestre du Festival de Budapest hier, Ivan Fischer s’est immédiatement placé dans cette seconde catégorie. Une direction claire, ferme, une vision extrêmement travaillée de cette œuvre, et peu de place pour laisser s’exprimer l’orchestre librement. On peut aimer ce type de travail, mais après l’équilibre magistral entre puissance de la vision et liberté d’exécution trouvé par Daniel Harding dans la 7ème la veille, il faut s’habituer ; on a rarement entendu une version aussi travaillée, dans le détail, aussi peaufinée qu’avec Ivan Fischer : travail des nuances et de la dynamique dans le premier mouvement, rubato hyper contrôlé dans le deuxième mouvement, définissant des sections très nettes aux éclairages différents, contrôle et tenue du tempo dans le troisième mouvement, travail sur les cordes et les nuances dans le dernier mouvement. Tout cela, porté par un orchestre exemplaire, sans aucune faiblesse (même dans les passages les plus difficiles du Rondo Burleske), impressionne. Mais cela reste, pour nous, une vision un peu froide, dans laquelle l’émotion peine à s’imposer.
Les meilleurs moments de la symphonie ont été, pour nous, les deux mouvements centraux ; dans le deuxième mouvement, caractérisé par des variations de tempo très contrôlées mais significatives, les moments ou Ivan Fischer laisse son orchestre jouer sont irrésistibles d’énergie et d’élan positif. On veut les suivre dans cette soudaine élévation, après les traits volontiers pesants du début du mouvement. Dans le Rondo Burleske, l’orchestre a également donné son meilleur : alchimie des timbres, dynamique impressionnante, tempo allant, ironie mordante… On aurait juste aimé un peu moins de contrôle, davantage de cette liberté dont une phalange de cet acabit ne peut faire que bon usage.
Une exécution admirable, donc, au sens propre du terme, manquant malheureusement de cette petite touche de mystère et d’abandon propre à susciter l’émotion.
Hervé Le Guennec