
Le Festival Mahler de Leipzig, tant attendu après une première annulation en 2021 pour cause de Covid, a démarré le 11 mai, avec des concerts et des conférences autour de Mahler, des réductions de symphonies et l’opéra Die Drei Pintos de Carl Maria von Weber, revu par Mahler. Coïncidant avec l’anniversaire de la mort du compositeur le 18 mai, le lancement des dix soirées symphoniques a donc eu lieu hier, avec la 2ème symphonie. Ce sont les forces locales qui ont été mises à profit pour cette première soirée, avec l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, le chœur de la MDR de Leipzig, sous la direction d’Andris Nelsons. En solistes, Nikola Hillebrand, soprano, et Gerhild Romberger, mezzo-soprano.
Autant le dire d’emblée, la barre a été mise très haut avec ce premier concert ! Dès l’attaque des cordes (quelles cordes !) dans le premier mouvement ‘Todtenfeier’, on a senti qu’une grande soirée commençait. Tempo modéré, cordes incisives et puissantes, précision quasi chirurgicale, dynamique stupéfiante… L’orchestre est plus qu’à l’écoute de son chef, il fait corps avec lui dans une interprétation qui s’appuie sur un incroyable travail de détail (les fins de phrase, les subtiles variations de tempo tout au long du mouvement) combiné à une architecture claire, sans faille, une vision plus monumentale qu’immédiatement sensible, qui tire l’ensemble de l’œuvre vers une certaine modernité. Toutes ses qualités se retrouvent dans les deux mouvements suivants, avec un Andante Moderato idéal, porté par des cordes tantôt caressantes, tantôt rageuses, des cuivres présents mais jamais pesants et une dynamique très travaillée. Un peu plus rapide que la moyenne, le troisième mouvement « In ruhig fliessender Bewegung » se déroule avec fluidité, marqué par des percussions plus présentes (excellent timbalier) et toujours ce travail de détail laissant entendre des contre chants et des voix secondaires habituellement masquées.
L’entrée de Gerhild Romberger dans le quatrième mouvement, « Urlicht » est saisissante. Timbre idéal pour cette musique, clarté de diction, sensibilité ; c’est en apesanteur que l’on aborde donc le dernier mouvement, démarré dans un fracas (contrôlé) témoignant de la puissance de cet orchestre exceptionnel. C’est dans ce dernier mouvement, toutefois, que la vision de Nelsons, un peu en retrait, très architecturée et caractérisant fortement chaque épisode, marque un peu le pas. Petit passage à vide de l’orchestre (visible dans les démarrages des cuivres par exemple), léger manque de tension dans les passages à faible effectif, on cherche son chemin… Le dialogue entre la fanfare lointaine et la flûte solo peine à suggérer cette détresse, poignante, cette immense solitude. L’entrée du chœur, un peu bas, repris par Nikola Hillebrand, somptueuse, nous amène progressivement au climax final, tellurique, monumental, mais manquant un peu de ferveur.
Dans l’ensemble, le travail de Nelsons sur cette symphonie fait donc forte impression. Avec un orchestre porté par des cordes superlatives, des percussions excellentes et des cuivres solides, il parvient à renouveler notre écoute de cette œuvre. Sans les réserves relatives au dernier mouvement, on tiendrait là une interprétation miraculeuse, très personnelle ; celle sans aucun doute d’un grand chef.
Hervé Le Guennec