
La deuxième soirée symphonique du Festival Mahler de Leipzig était un défi, tant pour les interprètes que pour le public, encore marqué par la très belle 2ème symphonie donnée la veille. La 4ème symphonie en première partie, avec Christiane Karg pour le dernier mouvement et rien de moins que le Chant de la Terre en deuxième partie, avec Andreas Schager et Ekaterina Gubanova en solistes. La réussite de ce concert apparaît contrastée, avec un Chant de la Terre globalement très convaincant, mais une 4ème symphonie moins marquante.
L’acoustique du Gewandhaus est excellente, assez sèche et extrêmement claire ; on entend chaque détail, les tuttis ne sont jamais assourdissants. Après la perfection orchestrale de l’Orchestre du Gewandhaus dans la 2ème symphonie, sous la direction d’Andris Nelsons, le retour à un orchestre, certes excellent, mais nettement moins précis (démarrages des cuivres, fins de phrase) avec des cordes moins homogènes, un peu plus ternes, et des pupitres solistes inégaux, a demandé une petite période d’adaptation ; au détriment de l’écoute de ce premier mouvement de la 4ème, si subtil et difficile à équilibrer. Durant ce mouvement et en continuité avec le deuxième mouvement, la vision de Tugan Sokhiev ne suscite pas d’émotion particulière ; il privilégie la ligne dans un tempo plutôt alerte, sans s’attarder dans le premier mouvement sur chacune des petites miniatures qui caractérisent ce monde séraphique, fait d’innocence rêvée et inaccessible. C’est une vision romantique qui trouve son aboutissement dans le troisième mouvement, là où des conceptions plus modernes vont faire du quatrième mouvement le point culminant de la symphonie. Troisième mouvement magnifique, porté par des cordes soyeuses, et un geste orchestral ample et profond. Le lied final, bien interprété par Christiane Karg mais avec le support d’un orchestre assez peu contrasté, ne distille pas ce mélange d’ironie, de gaité bruyante et d’avant-goût de paradis qu’on peut y attendre.
Après la pause, le Chant de la Terre verra l’orchestre sinon métamorphosé, du moins nettement plus précis et calé. Est-ce la « mise en chauffe » de la première partie qui porte ses fruits, ou un travail différent dans les répétitions ? Toujours est-il qu’on est saisi dès le premier lied par un orchestre clair et puissant à la fois, soutenant parfaitement Andreas Schager qui déclame avec puissance et conviction, même si certains aigus sont poussés et certains passages pas aussi justes qu’on pourrait le rêver (mais dans le 3ème lied, les problèmes de justesse et d’intonation seront plus présents). Dans ses deux lieds préalables au sublime « Abschied », on est séduit par la voix magnifique d’Ekaterina Gubanova, alto profonde, aux merveilleux aigus, qui se fond parfaitement à l’orchestre, attentif et précis. On rentre vraiment dans l’œuvre à ce moment-là, pour ne plus en sortir. Les deux autres interventions d’Andreas Schager, (« Von der Jugend » et « Der Trunkene in Frühling ») sont nettement moins réussies que le premier lied. Il maintient le même type de déclamation, sans caractériser les ambiances pourtant fort différentes de ces deux lieder (surtout « Von der Jugend »).
A lui seul, l’immense « Abschied » valait le déplacement. Ekatarina Gubanova l’aborde avec sobriété, en interprétant chaque phrase, en soulignant chaque atmosphère, avec une voix lumineuse et juste. Le soutien de l’orchestre est sans faille, apportant des touches de couleur, sans pathos.
On suit ces interprètes dans les mille inflexions de cette musique sublime, jusqu’au point culminant de la transition orchestrale entre les deux poèmes. Timbres parfaitement caractérisés, équilibre, concentration, voilà l’orchestre à son meilleur niveau. Tugan Sokhiev laisse jouer, avec naturel et sans lourdeur ; un vrai moment de plénitude. La fin de l’Abschied est à l’avenant, apaisée, comme il sied à un vrai adieu…
Hervé Le Guennec