Hier au Gewandhaus, la Philharmonie Tchèque était venue pour clôturer le Festival Mahler, avec son chef Semyon Bychkov ; au programme, la 6ème symphonie, que l’ensemble praguois rode en ce moment en vue d’un enregistrement qui s’inscrira dans l’intégrale en cours. Nous avons déjà commenté deux enregistrements de cette intégrale (les 4ème et 5ème symphonies) sur ce site, et après la 2ème qui vient d’être publiée, on attend la 7ème dans les prochains mois. Sur ces enregistrements et sur les concerts mahlériens de l’ensemble, notre avis reste mitigé : formidable 4ème, mais 5ème inégale ; même impression dans les concerts pour la 2ème et la 7ème. Malgré un orchestre époustouflant, la vision de Semyon Bychkov nous semble souvent trop sage, trop en retrait, manquant de cette tension qui ferre l’auditeur pour ne plus le lâcher. Nous étions donc un peu circonspects concernant ce concert de clôture du Festival de Leipzig. Or, il se trouve que certains concerts réservent des surprises !
C’est en effet un petit incident qui a décidé du déroulement du concert. Les premières mesures de la symphonie ont matérialisé nos craintes : orchestre sublime (probablement le plus bel ensemble de ce Festival, avec le Concertgebouw), mais vision bien sage. Tempo modéré, classique dans ce mouvement, très belle dynamique, sonorités lissées des cordes, mais sans sauvagerie ni âpreté. Deuxième thème à l’avenant, presque trop beau. Et puis d’un coup, le trompettiste solo rate son trait. Juste avant la reprise, un trait si clair et si présent que son absence ne peut passer inaperçue. Et quand on dit qu’il rate son trait, il le rate vraiment. L’orchestre poursuit, évidemment, mais dès cet instant, comme si un vent glacial avait soudain soufflé dans la salle, le vernis craque. La reprise est mordante, âpre, ténébreuse. Le chef tient le tempo, navigant dans des contrastes tout à coup plus abrupts ; on sent une fébrilité qui sort les musiciens de leur zone de confort et propulse la symphonie vers de nouveaux sommets, qu’elle ne quittera plus. Semyon Bychkov, en très grand chef, laisse jouer, tout en maintenant une parfaite lisibilité de l’ensemble.
Dès lors, le reste du concert aura été une 6ème symphonie rêvée. D’abord grâce à l’orchestre, l’exceptionnelle Philharmonie tchèque : pupitres de cordes plus somptueux les uns que les autres, la palme revenant certainement aux altos, les plus beaux de tout ce Festival, bois aux timbres sublimes (le pupitre des bassons !), cuivres exceptionnels, surtout les cors et trombones. Sans oublier les percussions, efficaces, jamais trop présentes. Et ensuite grâce la direction du chef, laissant s’exprimer l’orchestre, soulignant tel ou tel passage sans jamais accentuer les traits ou la dynamique de manière artificielle. Une direction de grande classe, en symbiose avec ses musiciens, qui a donné son meilleur alors même que l’orchestre se trouvait en difficulté. Premier et deuxième mouvements implacables, dynamique terrifiante, épisodes idéalement contrastés. Le placement du Scherzo en deuxième position ne permettra au public de ne reprendre son souffle que pour un magnifique mouvement lent, sobre, profond, au tempo assez allant, clair comme un cristal. Quant au Finale, parfois difficile à tenir et lieu de tous les débordements orchestraux, la direction claire et sobre de Semyon Bychkov en a fait une merveille de structure, d’énergie sombre, toujours parfaitement lisible.
Quelle fabuleuse interprétation pour clôturer ce Festival ! On attend l’enregistrement avec impatience désormais !
Hervé Le Guennec