Le public mahlérien du Festival de Leipzig attendait avec impatience ce concert assez inhabituel, dans la mesure où Christian Thielemann n’est pas vraiment connu comme « chef mahlérien ». On connait nombre de ses enregistrements de Bruckner ou Strauss, pour ne citer que les compositeurs proches de Mahler, mais quasiment aucun de Mahler lui-même ; juste les Rückert lieder avec le Philharmonique de Vienne et Elina Garanca, mais pas de symphonie enregistrée à notre connaissance. La curiosité était donc à son comble pour la représentation d’hier, avec la Staatskapelle de Dresde (dont il est chef principal depuis 2012) venue en voisine, le Chœur de femmes et le Chœur d’enfants de l’Opéra de Dresde et en soliste l’alto Christa Mayer.
Il faut croire que le temps pris par Christian Thielemann pour s’approprier l’œuvre de Mahler a été bénéfique, car cette 3ème symphonie était extrêmement réussie, équilibrée, racée, et émouvante. Ce sont les mouvements extrêmes qui ont été les plus aboutis dans cette interprétation. Tempo classique pour débuter le premier mouvement, épisodes très caractérisés, excellente maîtrise de la polyphonie parfois très complexe, cordes magnifiques. On sent beaucoup d’énergie, une belle entente entre le chef et son orchestre (malgré une battue typique et parfois bien peu lisible !). Une petite déception lors de quelques interventions solistes, en particulier des cuivres, parfois mal assurés. Mais un ensemble très convaincant, un narratif solide pour ce mouvement impressionnant, idéalement « minéral ». Le dernier mouvement a également permis au chef et à son orchestre de développer un narratif convaincant, porté par des cordes soyeuses et profondes, et une conduite très sûre du discours musical. On sent là la « patte » d’un grand chef.
Les mouvements centraux, quant à eux, ont été interprétés avec toute la finesse nécessaire, ainsi que beaucoup de clarté, notamment dans les 2ème et 3ème mouvements, avec une combinaison cordes – petite harmonie d’un excellent niveau. Le vent frais de la montagne, les parfums des fleurs sauvages et ce paysage « déjà tout entier dans la symphonie » ont parcouru la salle du Gewandhaus, très concentrée comme à son habitude. Les deux mouvements avec voix ont rappelé combien Christian Thielemann dirige admirablement les Quatre Derniers Lieder de Strauss : écoute de la soliste à la voix idéalement timbrée pour cette musique, souci des nuances, le tableau aurait été parfait avec des cuivres plus précis (les départs des cors en particulier) mais l’ensemble ne manquait pas d’atouts. Idem pour le cinquième mouvement, irrésistible combinaison des chœurs et de la belle voix d’alto de Christa Mayer. Avec ces chœurs excellents, l’énergie positive et juvénile de cette musique a été idéalement retranscrite.
Long silence en fin de représentation pour savourer encore un peu de cette musique avant un tonnerre d’applaudissements mérités.
Hervé Le Guennec